Reprise progressive des activités médicales et médico-dentaires

Madame Paulette LENERT
Ministre de la Santé
Ministre déléguée à la Sécurité sociale
Allée Marconi – Villa Louvigny
L-2120 Luxembourg

Luxembourg, le 14 avril 2020

 

Objet : Reprise progressive des activités médicales et médico-dentaires

 

Madame la Ministre,
La crise sanitaire inédite provoquée par le SARS – CoV – 2 nous a obligé à réduire de
manière importante toutes les activités du pays ; depuis le 15 mars 2020, le
Luxembourg fonctionne en mode minimal. Les mesures que le Gouvernement a
prises, par principe de précaution et avec l’appui du corps médical et médico-dentaire,
ont été drastiques, tant pour la vie sociale que pour notre Économie, mais étaient
nécessaires, en phase initiale de la pandémie, pour freiner la propagation du virus et
éviter ainsi la décompensation de notre système de santé.


L’évolution de l’incidence des nouvelles infections et du nombre d’hospitalisations
nous montre les effets bénéfiques des mesures en place ; le Luxembourg a su aplatir
la courbe des personnes infectées et des malades hospitalisés. Notre système de
santé tourne aujourd’hui en mode de crise, avec une organisation fortement focalisée
sur le diagnostic et la prise en charge des patients positifs au SARS – CoV – 2 et de
ceux atteints du COVID-19.

Or, comme vous le savez, les patients atteints de toutes les autres pathologies du
spectre NON-COVID se retrouvent, depuis l’irruption de la pandémie, marginalisés.

Ni leurs médecins de confiance, le plus souvent généralistes, ni leurs médecins-
spécialistes et médecins-dentistes, dans l’ensemble affectés par la lutte contre le
COVID-19, ne peuvent actuellement être à leur disposition de manière régulière et
usuelle. Il s’ajoute une forte appréhension de la part de beaucoup de patients à
fréquenter les structures de santé, en particulier les hôpitaux, tous impliqués dans la
prise en charge du COVID-19, par peur du virus. Nous sommes en train de dévier vers
une prise en charge déficiente de la population générale en matière de soins de santé,
qui entraînera pour beaucoup des conséquences souvent lourdes et parfois durables.
Nous pensons en particulier aux multiples dépistages de cancers en attente comme
de leurs suivis, aux infarctus du myocarde et aux accidents vasculaires cérébraux
diagnostiqués avec retard, aux diabètes déséquilibrés non reconnus, aux maladies
psychiatriques mal suivies, et tellement d’autres maladies chroniques.

Ces constats sont en phase avec ceux des experts du groupe de travail de la
Leopoldina – Académie nationale des sciences en Allemagne, dans leur publication
du 13 avril 2020 (Annexe 1).


De toute évidence, et chiffres à l’appui, la population a compris le message martelé du
« social distancing ». Mais elle reste actuellement figée dans une peur
disproportionnée par rapport aux risques d’autres maladies, qui pourtant ne cesseront
d’exister et d’évoluer. Cette pandémie, illustrée par les médias, a suscité une peur
ancestrale des fléaux maudits des temps passés. Vos appels publics clairs et répétés,
comme les nôtres, n’ont pas réussi à enlever les inquiétudes des patients qui hésitent
toujours à solliciter des traitements médicaux. En fait, la population s’attend des
consignes solides et crédibles pour le passage vers une phase de confinement plus
« allégée ». Ce travail reste à faire.

En l’état des connaissances actuelles, la lutte contre le SARS – CoV – 2 ne se gagnera
qu’avec l’introduction d’un vaccin efficace ou d’un médicament antiviral spécifique.
Nous ne disposons ni de l’un ni de l’autre. En étant optimiste, un vaccin ne pourrait
être disponible que d’ici 1 à 2 ans. Un retour rapide à la normale s’avère dès lors
impossible. En attendant, il faudra par conséquent apprendre à cohabiter avec le virus
tout en instaurant des modes de vie différents. La prochaine phase devra tenir compte
de cette réalité. Désormais, nos efforts doivent viser à endiguer le virus pour vivre avec
lui.

A cet effet, l’AMMD a élaboré, en concertation étroite avec les sociétés savantes, et
appuyé sur les recommandations de la Leopoldina - Académie nationale des sciences
en Allemagne, du 3 avril (Annexe 2) et du 13 avril 2020, des mesures avec
l’application desquelles une reprise progressive des activités médicales et
médico-dentaires pourrait se décliner à partir de fin avril 2020.


De manière générale, la Leopoldina stipule l’implémentation des mesures de santé
suivantes dans sa prise de position du 3 avril 2020 :
- Protection naso-oro-pharyngienne par masques dans le but de réduire la
transmission du virus ;
- Utilisation à court terme de données mobiles, permettant de représenter,
indépendamment de la géolocalisation, le contact spatial et temporel
d’individus pour identifier les personnes infectées et leurs contacts ;
- Augmentation substantielle des capacités de test PCR et validation,
introduction et développement de tests sérologiques ;
- Etude représentative et randomisée de l’état des infections et de l’immunité
de la population afin de mieux pouvoir évaluer la situation épidémiologique ;
- Recensement systématique et standardisé des facteurs de risque en cas de
nouvelles infections ;
- Revue et adaptation régulière des restructurations du système de santé pour
ne pas priver d’accès à l’offre médicale les malades souffrant d’autres
pathologies que du COVID-19 ;
- Communication transparente et régulière des variables de consigne
compréhensibles au grand public.

En outre, nous avons développé trois axes autour desquels une réorganisation de
l’offre médicale et médico-dentaire pourra se faire dans le but de regagner la confiance
de la population, tout en endiguant les risques d’une nouvelle vague infectieuse qu’il
faut éviter à tout prix.

Avant tout, nous sommes persuadés que la digitalisation dans les mains des patients
eux-mêmes sera un élément clé pour diminuer au strict minimum les interactions
humaines directes. Dans la même foulée, les infrastructures des hôpitaux, des centres
ambulatoires et des cabinets médicaux doivent, contrairement au mode de
fonctionnement actuel, commencer à suivre prioritairement cette logique digitale.

Ce changement de paradigme doit absolument être reconnu et déployé.

A. Mesures générales


-Mise en route rapide d’une application mobile pour les patients.
Il est à étudier si une application mobile, servant à la collecte et à la transmission
sécurisée de données sur le contact spatial et temporel entre individus, pourrait
rapidement être mise en route. Par la même application, un certain nombre de
documents, aujourd’hui manipulés sous forme de papier (ordonnances,
certificats de maladie, etc.) et donc sources potentielles de transmission du
virus, pourraient être traités de manière dématérialisée.

Les critères auxquels une telle application doit répondre sont multiples.

L’objectif visé étant de donner à chaque citoyen la liberté d’accéder à ses
données et de les partager sur son initiative, l’application devra mettre en place
un système permettant une identification des acteurs avec un transfert de
données en toute sécurité, non accessible à des tiers. Un accès direct au journal
de traçage des activités liées aux données (audit trail) augmenterait la
confiance dans les services proposés. L’anonymisation de ses données doit
pouvoir être garantie à l’utilisateur. Un tel modèle de « don de données »
laisserait la liberté au citoyen de participer en tant qu’acteur responsable à des
études et systèmes de traçage, pour lui rendre une partie du contrôle de la
situation. D’un autre côté, le même dispositif pourrait permettre aux autorités,
comme la Direction de la Santé, d’interagir individuellement ou en groupe avec
les patients pour les informer ou pour les conseiller ;

-Pré-consultation par téléconsultation, permettant la bonne orientation du
patient, l’organisation du rendez-vous sur un créneau horaire adapté et la
réduction du temps de contact au cabinet, l’anamnèse et certains bilans (labo,
imagerie, etc.) ayant déjà été réalisés au préalable ;
-Gestion efficace des rendez-vous, sans attente, avec une estimation réaliste
du temps de contact avec le patient, basée sur les informations recueillies lors
de la pré-consultation ;
-Aménagement de la réception au cabinet, dans un but de protection du
personnel, en imposant le respect strict des règles de distance et, par exemple,
avec l’installation d’une vitre de plexiglas ;
-Aménagement de l’espace d’attente au cabinet, avec, en cas d’attente, un
espace suffisant entre patients ;
-Aménagement d’espaces de pré-attente si possible et nécessaire ;
-Contrôle de la température à l’entrée du cabinet ;
-Utilisation d’équipement de protection individuel (EPI), masques pour le
personnel médical et paramédical, gants en cas d’examen physique du patient.
L’utilisation de matériel de protection requiert une estimation des besoins et par
conséquent une chaîne d’approvisionnement suffisante ;
-Les entrées des hôpitaux sont à contrôler selon les principes actuellement
en vigueur ;
-Dans le cas d’un examen invasif et d’une intervention, ambulatoire ou
stationnaire, un test PCR est demandé la veille de l’acte en question. Un
résultat positif entraîne une prise en charge selon les principes établis ;
-Lors de la pose de l’indication pour un acte technique, la réalisation en
ambulatoire est à privilégier ; en cas de nécessité d’une hospitalisation, les
courts séjours (1 à 2 nuits) en chambre individuelle sont préférés ;
-La sélection des patients, hormis les urgences vitales, devrait se limiter aux
catégories ASA I et ASA II ;
-Les indications chirurgicales doivent se baser sur les degrés d’urgence, de
l’indication vitale à l’indication fonctionnelle, en passant par le gradient des
multiples indications dont le report signifie une perte de chance pour le patient.

B. Mesures spécifiques à certaines disciplines médicales et médico-
dentaires

L’AMMD a initié une large consultation des sociétés savantes du Grand-Duché de
Luxembourg en relation avec les mesures spécifiques à leurs disciplines, et ceci aussi
bien pour les indications de diagnostic et de traitement que pour la protection
particulière de leurs patients. Un vaste éventail de recommandations a déjà été
élaboré. Le recueil des mesures ainsi établies fera l’objet d’une publication ultérieure.

C. Mesures architecturales des structures hospitalières et ambulatoires


L’hôpital

Le concept d’hôpital pavillonnaire du début du siècle passé a été perdu de vue.
Pourtant, cette architecture particulière de certains hôpitaux de l’époque, tel que
l’hôpital Brugmann à Bruxelles, avait comme but de confiner les patients
infectieux dans un secteur déterminé, en absence de notions profondes de
maladies infectieuses et de mesures d’hygiène.
Après l’acquisition de connaissances pointues en matière de microbiologie et
de gestion économique pour rationaliser les infrastructures des bâtiments,
l’architecture hospitalière pavillonnaire a été abandonnée.
Mais il faut avouer que nos sociétés n’ont plus été confrontées depuis des
générations entières à un fléau comme celui qui nous occupe maintenant.
La pandémie du COVID-19 nous a réveillé brutalement pour nous rappeler que
la promiscuité et les mélanges des flux de patients, du personnel et des visiteurs
rend caduque les efforts de stérilisation et d’éviction de transmission de
microbes de tout genre. Même si le SARS – CoV – 2, par sa virulence et sa
contagiosité, ne peut être considéré comme agent typiquement nosocomial,
l’hôpital est à considérer comme un endroit à risque important pour sa
transmission.
Aucun de nos hôpitaux luxembourgeois ne dispose d’une architecture
appropriée dans ce sens. Nos structures hospitalières, au sein desquelles la
séparation des flux est quasi impossible, rend la prise en charge des patients
NON-COVID difficile et en conséquence non convaincante, ni pour les
professionnels de santé, ni pour les patients.
Avec la stabilisation actuelle du nombre de nouvelles infections et des
hospitalisations, il est utile de procéder à la concentration des malades
atteints du COVID-19 au sein d’un seul établissement hospitalier du pays.
Au lieu d’éparpiller les patients COVID-19 à travers différents établissements,
et de multiplier les risques de non séparation des flux et de nouvelle vague
infectieuse, il serait logique de confiner, pour des raisons de lutte antivirale, les
patients COVID-19 à un seul endroit. Cette solution est la plus appropriée, la
plus cohérente et la plus crédible pour permettre une reprise progressive, dans
des conditions acceptables, de toutes les activités médicales hospitalières
actuellement au plancher.
Cet établissement hospitalier à désigner devrait évidemment disposer, entre
autres, de compétences particulières en maladies infectieuses, de surfaces de
réserve suffisantes, de respirateurs en nombre approprié et d’une chaîne
d’approvisionnement solide en matériel de protection et en médicaments, tout
comme d’une équipe médicale et paramédicale assez étoffée pour assurer une
telle mission à vocation nationale. Il serait envisageable d’organiser une liste de
garde transversale, reprenant tous les médecins du pays, pour appuyer les
équipes de l’hôpital COVID, tout comme les médecins de cet hôpital pourraient
venir soigner leurs patients NON-COVID dans les autres hôpitaux NON-COVID.

Les structures ambulatoires

À moyenne échéance, il faut développer des structures ambulatoires pour des
raisons évoquées déjà antérieurement. De telles structures apportent non
seulement un avantage en termes de gestion, mais offrent également une
meilleure prévention d’infections nosocomiales, tout comme en cas d’épidémies
ou de pandémies.
Conceptuellement, il faudrait imaginer des structures où les patients qui y
rentrent ne se croisent pas, afin d’éviter la « cross-contamination ».

Quand les flux des patients sont ainsi séparés et simplifiés, il faudra encore
veiller à diminuer au strict minimum les interactions entre patients et
professionnels de santé au sein de ces structures comme en dehors.
À ce titre, nous nous permettons de renvoyer aux mesures générales et
spécifiques aux différentes disciplines médicales.

Madame la Ministre, vous avez géré cette crise sanitaire depuis son début avec
beaucoup de clairvoyance, de rapidité et de sérénité. La sortie de crise est également
urgente pour des arguments économiques et sociaux, mais elle doit se faire sans
prendre de risques inconsidérés pour la population. Les éléments évoqués dans le
texte sous rubrique sont valables sans vraiment tenir compte des stocks en EPI, mais
qui vont sans doute encore s’étoffer dans les semaines et les mois à venir, et sans
tenir compte des informations obtenues après réalisation de tests sérologiques de
masse, toutes aussi importantes dans le contexte.

Les mesures dégagées ci-dessus doivent être comprises comme des adaptations
nécessaires, urgentes et pérennes des infrastructures du système de santé d’un côté
et de l’organisation et du comportement des professionnels de santé comme des
patients de l’autre, face à ce fléau d’envergure mondiale.

La digitalisation du secteur de la santé est primordiale et doit déterminer la
conceptualisation des structures et infrastructures et non l’inverse, comme
typiquement dans le passé.

L’AMMD fait l’appel solennel à Vous, à la Direction de la Santé comme aux Directions
des établissements hospitaliers pour dégager ensemble des solutions qui nous
permettront de sortir au plus vite de cette crise sanitaire étouffante à plusieurs égards,
mais surtout à celui des malades souffrant des pathologies de tout le spectre NON-
COVID.

Si le « lock down » avait sa justification incontestée, l’attentisme est dorénavant
dangereux.

 

Nous restons entièrement à votre disposition pour approfondir les discussions en
relation avec nos réflexions, notamment pour la constitution d’un groupe de travail
spécifique visant à formaliser les propositions ci-jointes et développer la stratégie
hospitalière et extrahospitalière, ensemble avec les représentants des hôpitaux, des
conseils médicaux et des sociétés savantes.

Avec notre haute considération,

Dr Guillaume STEICHEN          Dr Carlo AHLBORN                                Dr Philippe WILMES
Secrétaire général                         1er Vice-Président, Trésorier                   Vice-Président

 

 

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