Indemnités pour les gardes et astreintes hospitalières. Restons sur nos gardes

Indemnités pour les gardes et les astreintes hospitalières :
Restons sur nos gardes !


Depuis belle lurette, les médecins de tous les établissements hospitaliers avaient établi des listes de garde pour un très grand nombre de disciplines. Ces services ont été prestés depuis des décennies avec le plus grand sérieux et responsabilité, sans aucune indemnisation. Pourtant, les contraintes liées aux gardes et astreintes ont significativement progressé durant les dernières années, de sorte que l’indemnisation des médecins concernés y liée semblait plus que justifiée, et ceci d’autant plus que les jurisprudences récentes ont décidé que le temps de garde ou d’astreinte était à considérer comme temps de travail.


Sous l’influence de la FHL, le législateur, par la loi hospitalière du 8 mars 2018, a rendu obligatoire la prestation des gardes et astreintes aux médecins agréés ou salariés des établissements hospitaliers. En cas de manquement d’un médecin concerné, des sanctions pénales draconiennes sont prévues. Telle est la base légale applicable au 1er avril 2018, date qu’on pourrait considérer comme symptomatique.


Dès le vote de la loi hospitalière, l’AMMD a oeuvré pour que les médecins soient justement indemnisés pour cette nouvelle obligation légale - qui se rajoute à nos obligations déontologiques déjà lourdes, pourtant jamais contestées par le corps médical et médico-dentaire. En mars 2020, au tout début de la pandémie, nous avions demandé, pour des raisons évidentes, à la Ministre de la Santé de régulariser les indemnités pour les gardes et les astreintes. Elle n’a pas voulu à ce moment et l’AMMD a réussi à faire entamer les discussions seulement en juin 2021. La Ministre a réuni autour d’une table les fonctionnaires des Ministères de la Santé, de la Sécurité sociale et de la CNS, les directeurs des hôpitaux et les représentants de l’AMMD, ainsi que les représentants des Conseils médicaux. Depuis lors, nombre de réunions ont eu lieu avec un résultat mitigé. Certains médecins ont même adressé des mises en demeure à la Ministre pour revendiquer ce qu’ils estimaient, à juste titre, être de leur droit, sans réponse à ce stade. Ensuite, au sujet du périmètre pour lequel le Ministère est d’accord à reconnaître une indemnité financière, celui-ci ne correspond pas aux réalités des gardes et des astreintes effectivement prestées pour le bien des patients. Samedi passé sur l’émission RTL « Background », la Ministre de la Santé avoue que les négociations ne sont toujours pas abouties, en partie parce que l’AMMD aurait exprimé des revendications pécuniaires exagérées. Nous allons y revenir plus loin.

Le comble est que les indemnisations tant attendues par les médecins concernés semblent vouloir être détournées en partie, afin de faire participer les médecins au financement hospitalier.
En effet, le risque est réel à ce que les moyens financiers alloués soient déviés aux hôpitaux pour leur servir de nouvelle source financière, ou bien pour leur permettre à mettre davantage sous pression les médecins en sélectionnant à qui attribuer une « reconnaissance financière ».
Il nous importe dès lors de vous détailler ci-dessous les éléments essentiels de l’avancement des discussions et les appréciations de l’AMMD sur les positions respectives des parties impliquées dans les discussions.


1. Quelles sont les définitions retenues d’une « garde » et d’une « astreinte » ?


Afin de parer aux amalgames erronés de la continuité de soins prévue par le Code de déontologie et les nouvelles obligations imposées, les parties se sont mis d’accord au bout de longues discussions controverses sur certains éléments de définition : alors que la continuité du service hospitalier constitue une obligation déontologique pour les médecins concernés, le législateur a imposé une nouvelle contrainte aux médecins en ce qui concerne la prise en charge des patients hospitalisés au sein d’autres services ou se présentant au service des urgences des hôpitaux. Il est évident que cette nouvelle contrainte légale doit être indemnisée.
Les parties se sont mis d’accord pour distinguer une garde dite « sur place » et une astreinte.
Une garde telle que légalement prévue est assimilée à une garde où le médecin doit pouvoir intervenir immédiatement. En pratique, une pareille garde est donc en général une garde sur place.
Quant aux astreintes, le médecin n’est pas nécessairement sur place, mais doit intervenir plus ou moins rapidement selon l’état clinique du patient.
Nous sommes tous conscients que le degré des urgences peut significativement varier d’une situation à une autre. Et les discussions compliquées y liées sont particulièrement difficiles à aborder sereinement à ce stade, alors même que le principe des indemnités et son mode d’application ne sont toujours pas arrêtés. Comme les textes légaux ne précisent pas le degré des différents types d’urgence, ces aspects n’ont pas encore pu être creusés. Ces aspects sont particulièrement importants pour les médecins salariés prestant des astreintes en partie lourdes et qui ne connaissent guère de reconnaissance financière à leur engagement.


2. Quelles gardes et astreintes pourront être indemnisées, et à combien ?


Avec la collaboration des Conseils médicaux, l’AMMD a remis un listing des gardes et des astreintes des différents établissements hospitaliers au Ministère de la Santé. Ce tableau reprenait un nombre plus important de lignes de garde que ceux considérées par le Ministère. Étant donné le nombre impressionnant de gardes et d'astreintes prestées au sein des
établissements hospitaliers, le Ministère a essayé de réduire le périmètre à indemniser. L’AMMD a réussi à convaincre le Ministère que les services hospitaliers agréés par le Ministère de la Santé doivent rentrer dans le volume à financer. Du coup, le Ministère a estimé unilatéralement que les heures des astreintes seraient à limiter entre 20.00 du soir et 7.00 du lendemain.
Cet aspect prend toute son importance comme le tarif horaire appliqué peut varier considérablement en fonction des interprétations divergentes entre le Ministère et l’AMMD.
L’AMMD revendique qu’une garde ou astreinte soit indemnisée sur l’ensemble des 24 heures prestées. Alors que pour la garde dite sur place, le tarif de 96 € par heure semble acquis, celui d’une astreinte reste débattu. Étant donné que le tarif applicable aux médecins généralistes prestant des astreintes dans les maisons de soins est de 40 € par heure, il nous semble légitime et incontournable que ce même tarif horaire devrait être applicable aux médecins spécialistes hospitaliers et ce pour les 24 heures obligatoirement prestées.


3. Qui est le payeur ?


Au début, la CNS a estimé que le financement des gardes et des astreintes ne lui incombe pas, étant donné qu’il ne s’agirait pas de prestations médicales prévues par le Code de la Sécurité sociale. Ensuite, les fonctionnaires ministériels avaient imaginé une séparation franchement artificielle entre une garde sur place et une astreinte dite de sécurité. En fin de compte, il semble bien que les fonctionnaires des Ministères aient convaincu la CNS à prendre en charge une partie de l’impact financier, peu importe la formulation des types de garde ou d’astreinte. Comme seule la CNS dispose des ressources humaines et techniques nécessaires à rendre opérationnel les indemnisations, il est possible que la CNS prendra en charge l’ensemble des coûts quitte à ce qu’elle se fera rembourser par après par l’Etat.


4. Quelles sont les modalités de paiement des indemnités ?


Pour l’AMMD, il est essentiel que les médecins reconnus pour leur activité de garde ou d’astreinte soient directement indemnisés par l’État ou la CNS, sans passer par l’intermédiaire des hôpitaux, ce qui est cependant revendiqué haut et fort par les représentants de la FHL. Les directeurs nous assuraient qu’ils n’envisageraient pas de « détournement » des indemnités. Pourquoi alors les hôpitaux tiennent tellement à ce que les moyens financiers leur soient transmis afin qu’ils puissent les verser aux médecins concernés ?
Le Ministère sympathise avec la FHL en évoquant l’article 74 du Code la Sécurité sociale, précisant certains financements en lien avec l’organisation des urgences hospitalières. Il s’agit d’une interprétation injuste voire inique de la part des Ministères. En effet, l’article en question est en lien direct avec les négociations budgétaires entre la FHL et la CNS. L’AMMD n’est pas impliquée dans ces négociations depuis juillet passé. L’AMMD rappelle le fond du sujet débattu : il s’agit d’une indemnisation des médecins et non d’une indemnisation des hôpitaux. En tout état de cause, l’AMMD tient à une indemnisation parvenant directement aux médecins concernés, dont les modalités y liées sont à préciser avec l’association représentative des médecins et médecins-dentistes ou ensemble avec l’asbl MSH pour les médecins salariés, mais non avec celle des hôpitaux.

5. Quelles sont les risques face au contexte actuel ?


Comme vous avez pu constater, les médias ont récemment rapporté un litige opposant le REHAZENTER à un psychiatre ayant presté des consultations au bénéfice des patients y hospitalisés.
Le contrat d’agrément que le REHAZENTER voulait proposer au médecin concerné, prévoyait une clause de rétribution des honoraires du médecin à la structure hospitalière, donc un partage des honoraires. Il semble que le REHAZENTER a voulu récupérer 20 % des honoraires de ce médecin, à l’image du CHL ayant imposé pareils contrats à certains médecins libéraux.
Il faut souligner qu’une telle rétribution n’est prévue ni par la loi hospitalière, ni par le contrat type négocié entre la FHL et l’AMMD en 2002 ! La loi sur l’exercice du médecin (article 20) et le Code de déontologie (article 32) interdisent même explicitement une telle rétribution (comme détaillé ci-dessous) !
D’ailleurs, nous vous avons annexé le contrat-type négocié entre la FHL et l’AMMD en 2002, toujours en vigueur. Nous vous invitons à le comparer au contenu de votre contrat d’agrément. En cas de questions, nous sommes évidemment à votre disposition pour en discuter.
Il est un fait que les structures hospitalières et leur fonctionnement sont financées par des budgets spécifiques. Un financement croisé des établissements hospitaliers par les honoraires des médecins n’est ni prévu, ni souhaitable, ni légal. Toutefois, les établissements hospitaliers peuvent opposer aux médecins demandeurs une location pour des locaux de consultation. De fait, ceux-ci ne sont ni financés, ni subventionnés par le denier public. Mais il existe une différence de taille entre une rétribution d’honoraires des médecins au bénéfice des hôpitaux (peu importe du taux) et d’un simple contrat de louage de locaux selon les règles de droit civil. Le premier scénario risque de donner en main des hôpitaux un moyen de pression assez important aux dépens des médecins hospitaliers. Ceci pourrait être ressenti comme moins menaçant par certains médecins salariés, mais il ne faut pas être dupe. Tout moyen financier supplémentaire dont disposent les hôpitaux risque d’être utilisé pour mettre sous pression les médecins, peu importe le type de contrat. Pour les médecins salariés, il faut donc être particulièrement vigilant à ce que les établissements les indemnisent justement. Il est parfaitement envisageable que le médecin salarié touche son salaire et en surplus l’équivalent des indemnités dues, liées aux gardes et astreintes prestées. Nous sommes conscients que des discussions quant aux contrats des médecins salariés en vigueur pourraient faire surface.
L’AMMD s’oppose donc fermement à ce que les moyens financiers supplémentaires déployés soient filtrés par les mains des hôpitaux (sous limites des modalités applicables aux médecins salariés). Nous revendiquons que les indemnités versées par leur débiteur, État ou CNS, parviennent entièrement et sans détour hasardeux aux médecins concernés.

6. Les revendications de l’AMMD


• Indemnisation immédiate, et avec effet rétroactif au 1er avril 2018, des médecins prestant des gardes et des astreintes légalement imposées ;
• Indemnités indexées de 96 € par heure pour les gardes considérées comme « garde sur place » et de 40 € par heure pour les astreintes ;
• Indemnités à verser directement et entièrement aux médecins (sauf accord séparé à négocier avec l’AMMD et l’asbl MSH, en fonction des tableaux de garde transmis au Ministère de la Santé) ;
• Respect inconditionnel du contrat-type pour les médecins libéraux.
Le corps médical, qui preste les gardes légalement obligatoires depuis le 1er avril 2018, attend évidemment que les indemnités soient enfin libérées. Toutefois, il faut rester très vigilant face à toute tentative de mise sous tutelle financière, ayant comme conséquence prévisible le court-circuitage fâcheux et illégitime de notre indépendance professionnelle, peu importe le statut du médecin.


7. Conclusion


Au moment où les médecins attendent amèrement leur indemnisation pour les gardes et astreintes devenues obligatoires par l’initiative des hôpitaux, le risque est réel que cette indemnité parte progressivement en fumée et que nous soyons les dindons de la farce. Le danger est palpable qu’on utilise le sujet de l’indemnité pour nous faire participer directement au financement des hôpitaux par nos sources et nos ressources.
A ce titre, il faut dénoncer avec force le non-respect du contrat-type négocié pour les médecins libéraux de la part de certains établissements.
L’AMMD met en garde tous les médecins devant toute rétribution d’argent valant partage des honoraires ou des indemnités des gardes ou astreintes. Il faut éviter tout mélange de financement croisé et opaque dont rêvent les autorités pour financer des activités sur le dos déjà fort sollicité du corps médical et médico-dentaire, salarié ou libéral !


L’AMMD vous attend le 12 octobre 2022 au Centre Atert à Bertrange dès 15.30 à l’occasion d’une assemblée générale extraordinaire lors de laquelle ce sujet épineux sera abordé.


Pour le conseil d’administration,
Dr Alain Schmit                     Dr Guillaume Steichen
Président                                 Secrétaire général

 

 

 

 

 


Bases légales en vigueur


1)
La loi modifiée de 1983 sur l’exercice de la profession de médecin et de médecin-dentiste précise à l’article 20 :
« Est nulle toute convention conclue par les membres des professions de médecin et de médecin-dentiste entre eux ou avec un établissement hospitalier, stipulant des partages sur les honoraires ou des remises sur les médicaments prescrits, sans préjudice des dispositions concernant la rémunération des médecins prévues par les lois organiques relatives à certains établissements hospitaliers. »
2)
Le Code de déontologie précise à l’article 32, précédé de l’entête « Dichotomie, connivence, compérage » :
« Toute connivence d’intérêts des médecins entre eux, et des médecins avec d’autres professions médicales (pharmaciens, infirmières etc.) est une dichotomie. Toute forme de dichotomie est interdite, notamment :
• Tout partage d'honoraires entre médecins et non-médecins.
• Tout partage d'honoraires entre médecins hormis le cas des associations où la mise en commun d’honoraires est autorisée.
• Le partage d'honoraires entre médecins qui ne correspond pas à un service rendu directement ou indirectement au malade dans le cadre d'une médecine en association.
• Les conventions de mise à disposition de l’équipement médical, de l’infrastructure ou du personnel nécessaire à l’exercice de l’activité dont l’indemnisation de ce chef n’est pas une contrepartie justifiée aux services offerts.
• Tout compérage entre médecins, entre médecins et pharmaciens, entre médecins et auxiliaires médicaux, ou avec toutes autres personnes physiques ou morales est interdit. Sont considérés comme tels, les connivences expresses ou tacites ayant cours entre un ou plusieurs membres de ces professions, moyennant ou non une contrepartie financière mais dont l’effet est de contourner les dispositions en matière de mise en commun d’honoraires ou de sollicitation de patients. »

 


Annexe
Contrat-type tel que négocié en décembre 2002 entre l’AMMD et avec la FHL (anc. « EHL »)

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